C’est curieusement à La Chapelle-en-Serval, près de Chantilly, qu’un amateur de belles lettres a découvert un texte inconnu du philosophe allemand : Friedrich Nietzsche.
Le voici en exclusivité !
La solitude du mouton monocolore
Un jeune berger était assis sur une pierre, grattant du bout du pied la terre. Il jetait de temps en temps un œil vers le ciel, soupirait, grattait encore.
Apparut Zarathoustra.
Cette terre que tu malmènes semble peser bien lourd sous toi.
« Zarathoustra ! » s’exclama le jeune berger.
Je me sens si seul et méprisable, traînant mon bâton, entraînant mon troupeau. Cette vallée me lasse tant.
Regarde ce chêne, dit Zarathoustra.
Vois comme il s’élance seul vers les cieux.
Vois comme il va vers le tonnerre et l’éclair.
Vois comme il veut transpercer les nuages, lui qui ignore tout ce qu’ils lui cachent.
N’est-il pas courageux, n’est-il pas fier ?
Il est chêne et je suis berger, déclara le jeune homme, affaissé sur la pierre.
Veux-tu lui emboîter le pas, dit Zarathoustra ? Veux-tu savoir d’où il tient son courage et sa grâce malgré sa taille et son poids ?
Ô oui je le veux, supplia le jeune berger, soudain redressé.
L’Aigle est son professeur chuchota Zarathoustra. Il lui montre la voie.
Mais l’Aigle est seul. Mais l’Aigle est à la merci des vents et des tempêtes.
Mais l’Aigle est si haut qu’il en devient invisible.
Ainsi parla le jeune berger.
Au début de l’automne, dit Zarathoustra, 15 Aigles se réunissent au cœur d’une luxuriante forêt. De minuit à midi plein, ils guident les aiglons vers leur Envol.
Voler comme un Aigle et rester seul encore, gémit le berger.
Mon ami, dit Zarathoustra, tes moutons eux sont bien seuls, qui bêlent et ne distinguent pas même leur bêlement pleurnichard du bêlement du voisin.
Ton troupeau est un amas de solitudes. Un leurre. Un chausse-trappe.
Tes moutons sont monocolores.
Toi-même, tu ne les gardes que pour les tondre.
Tandis que l’Aigle, lui qui les aime, leur offre de Plus Hauts Alpages, de plus verts pâturages. De danser sur les cimes, de cueillir la fleur de jouvence éternelle, quand chaque instant est si merveilleux qu’il est à lui seul l’éternité.
Le mouton est bien seul dans sa vallée, monocolore, te dis-je, et sans âme.
L’Aigle ne l’est jamais.
Il reconnaît ses pairs. Il les sait présents. Proches. Du même sang.
Ensemble, ils acclament le Soleil qu’eux seuls, peuvent regarder de face. Ils embrassent le ciel.
Ensemble, ils voient les moutons serrés trop près, mangeant le sol qu’ils martèlent, succombant sous la graisse. Les entendent à peine. Des points immobiles dans un paysage de verdure. Pas tout à fait blancs. Insipides.
Si je rejoins ces 15 Aigles, Zarathoustra, je Volerai ?
Je Volerai alors ?
D’abord tu marcheras, dit Zarathoustra, frappant du talon la terre.
Et je Volerai alors ?
Puis, tu ne sentiras plus que la pointe de ton pied effleurant la terre que déjà tu ne grattes plus.
Et je Volerai alors ?
Tu ressentiras la douleur du nouveau-né qui pleure la dent qui lui pousse. Mais toi, jeune berger, tu riras de la douleur des Ailes qui dans le dos te poussent. Tu célébreras cette douleur. Tu chanteras cette douleur. Tu te surmonteras.
Et je Volerai alors, supplia le jeune berger.
Alors tu Voleras.
Ainsi parlait Zarathoustra.
Si vous voulez suivre les traces de ce jeune berger, le chemin commence ici.
Bon Vol !